Témoignage de Laurence et Marie-Hélène en couple, mamans

 

Comment vit-on en tant que parents non inclus dans les représentations de la société ?

 

MH : Il y a plusieurs niveaux. 

On a vécu des anecdotes dans notre parcours pour être parents. 

C’est là que « l’invisibilisation » on la prend en pleine poire. 

J’étais celle qui allait porter l’enfant, on me prenait toujours en considération. 

Tu es « évidemment » hétéro.

 

Lau : L’anecdote. 

On avait un projet d’accouchement à domicile pour notre fille ou de maison de naissance (la seule à Paris c’est La maison de naissance de Paris).

On va à la réunion d’information, il y a une trentaine de personnes, on est assises côte à côte, on se donne la main et dans le discours de la sage-femme il n’y a que le père qui est présent.

 

La mère qui accouche et le père.

 

C’était hyper violent pour moi.

 

J’ai regardé Marie et je lui ai dit « là c’est dûr » et on s’est embrassées pour essayer de montrer qu’on était là, qu’on existait.

Elle n’a peut-être pas vu, elle n’a peut-être pas su quoi en faire.

Du coup, il y a un des parents qui était intervenant dans la réunion qui nous a demandé ce qu’on en avait pensé.

On lui a fait le retour « Nous on est un couple de femmes, ça a été compliqué pour nous de gérer l’absence de notre existence ».

 

On a envoyé un mail qui a été très bien reçu.

On leur a dit : vous êtes un projet alternatif et pour nous, ça parait essentiel qu’un projet alternatif pense à toutes les formes de parentalité et notamment dans le discours d’accueil.

Il n’y avait pas que les couples homoparentaux, il y avait les mères célibataires, qui n’existaient pas non plus, la coparentalité n’existait pas.

On leur a proposé des formulations : ce n’est peut-être pas volontaire de votre part, donc voilà comment vous pourriez les inclure.

Iels nous ont remercié d’avoir fait ce retour, que c’était de la maladresse de leur part, que c’était un « impensé » du groupe.

 

MH : C’était chouette d’avoir une réponse qui ne nous exclue pas.

 

Lau : Qu’iels ne nous renvoient pas à notre « invisibilisation ».

 

MH : L’autre chose à laquelle je pense c’est l’arrivée de notre fille. 

J’ai eu une grossesse compliquée elle est arrivée avec 3 mois d’avance. 

Elle a été deux mois en néo-nat et Lau a subi vraiment l’homophobie du système.

 

Lau : MH avait été anesthésiée pendant l’accouchement donc elle n’avait pas pu être près de notre fille immédiatement. 

Moi en tant que deuxième parent, j’étais sensée y avoir accès. 

Les sages-femmes à priori étaient d’accord sauf qu’il y a quelqu’un qui est intervenu en me disant « mais vous êtes qui vous ? »

J’ai répondu : « Je suis la deuxième maman ».

Elle m’a répondu : « Je ne sais pas si vous avez le droit d’être là ».

 

Je n’ai pas pu toucher ma fille alors que le papa à le droit, lui on ne lui pose pas de questions, parce que de toute façon comme c’est un homme et qu’il se déclare le père de l’enfant il a le droit de la toucher. 

Alors que j’étais inscrite comme personne à contacter d’urgence, tout le service avait vu.

 

MH : Il y a eu un couac de communication, on était un dimanche, on est tombées sur la personne un peu « vieillotte » homophobe pas ordinaire, je ne pense pas qu’elle en avait contre nous.

Ça a été long à digérer car c’était une naissance compliquée, je me disais que c’est bon Lau est avec notre fille, elle aura un contact humain.

 

De savoir que notre enfant est restée 3 heures sans que personne ne la touche alors qu’elle venait d’être arrachée de mon ventre ça été vécu hyper violemment pour nous.

 

Mais encore une fois ça a été solutionné.

La cadre de santé a été avertie par une infirmière qui a vu notre état de stress parce que tout à coup on se demandait s’iels allaient laisser Lau venir comme elle veut.

 

Lau : En tant que deuxième parent tu peux aller et venir comme tu veux en néo-nat.

Je n’avais le droit de venir que quand MH est là, une fois par semaine.

 

MH : La cadre de santé nous a dit : « Mais qui vous a fait ça ? ce n’est pas comme ça qu’on traite les gens dans le service ! »

Iels ont fait une réunion de coordination dans le service, iels ont envoyé un mail à tout le monde juste pour nous !

 

Lau : Pour dire que les couples gay et lesbiens étaient considérés au même titre que les autres et qu’il fallait accueillir le deuxième parent sans poser de questions.

 

MH : Iels ont même changé des panneaux. 

Il y avait marqué « papa et maman » et iels ont mis « les parents ».

La cadre de santé est venue s’excuser auprès de moi au nom de l’équipe puis, à ma demande, auprès de ma femme une deuxième fois.

 

On a appris qu’un couple était en coparentalité (deux papas et deux mamans) dans la même maternité.

Plusieurs mois après, j’ai rencontré un des papas dans une librairie par hasard et il me dit : « Mais c’est vous le couple de femmes ! grâce à vous on a eu un super accompagnement parce qu’en fait vous avez vachement marqué l’équipe. Les quatre parents on a pu voir notre enfant comme on voulait, sinon on aurait lutté. »

 

Je me suis dit : Ça sert à quelque chose de « visibiliser » nos histoires plutôt que de se renfermer et de subir mais il faut quand même avoir la force.

 

Lau : Nous on a la chance d’être suffisamment fortes ensemble et individuellement quand ce n’est pas des situations de stress ou de violence pour faire évoluer le système.

L’idée que ça serve à d’autres.

 

Fortes pour le subir ET en faire quelque chose après.

 

MH : On a l’expérience !

L’invisibilisation pour moi, elle est dans un cadre plutôt global dans la littérature jeunesse, les représentations. 

Et quand c’est évoqué c’est le sujet ! 

T’aimerais juste avoir un livre qui parle d’une parentalité avec deux papas, ou deux mamans que ce soit inclu et c’est tout.

Je n’ai pas envie que mon enfant ne voie que ça.

 

On a beaucoup d’ami-e-s hétéro qui sont dans des schéma normés.

Là on part vivre en dehors de Paris, on se dit qu’on va être les lesbiennes du villages (rires).

 

Tu fais partie de la société au même titre que les autres, même si la société te renvoie que t’as pas les mêmes droits.

 

Lau : Je me pose la question : qu’est-ce que le choix d’avoir une enfant va lui faire vivre car elle va subir la situation de ses parents ?

Parce ce qu’elle est fille de lesbiennes, qu’est-ce qu’elle va devoir subir alors qu’elle n’a pas choisi ?

Ça me travaille.

 

MH : Elle va commencer à socialiser avec de plus en plus de personnes. 

A Paris, il y a plus de types de parentalité.

Au parc, il y plusieurs couples de lesbiennes.

A la crèche parentale, l’assistante maternelle tu sens que c’est inclu pour elle, mais elle nous a dit qu’elle n’osait pas dire aux autres parents que notre fille avait deux mamans pour nous protéger : « Vous êtes fortes moi je ne leur ai pas dit aux parents j’ai peur de comment iels vont réagir ».

Je ne veux pas que ce soit tabou.

 

Lau : Si on dit de manière simple aux parents, ce sera plus facile pour notre fille de se sentir reconnue dans le fait qu’elle a deux mamans plutôt que d’être niée dans cette situation-là.

C’est un peu paradoxal, elle ne veut pas nous « outer » auprès des autres mais c’est aussi nier la situation de notre fille et du coup le dire de manière simple c’est aussi valoriser sa famille.

Elle fait un choix pour nous qui n’est pas le nôtre.

 

MH : J’ai subi plus de lesbophobie quand j’étais en couple.

 

Lau : Les gens sont plus intimidés par la présence de l’enfant.

 

MH : Une fois y a eu un mec un peu alcoolisé qui m’a dit alors que j’avais ma fille en porte bébé « au revoir monsieur ».

 

L’impact que ça a de vivre ça ? Du coup est ce qu’on a des peurs par rapports à notre enfant ?

 

MH : A part dans l’intimité rien n’est jamais facile.  

J’ai l’impression d’être souvent sur le qui-vive, d’être en situation d’hyper-vigilance ou d’alerte.

Ça peut me causer une grande fatigue et ça s’accumule et je vais péter un câble pour un truc alors que je me dis tout va bien dans ma vie ! 

Alors que j’ai dû composer avec un truc.

 

On vit toute une situation d’injustice par rapport à l’adoption, on est mariées, on pourrait dire que c’est du détail et en fait ce n’est pas que symbolique, ça a des conséquences très réelles : psychologiques, économiques.

Ce n’est pas qu’un bout de papier, ça donne accès à plein de choses. 

On souhaiterait que Lau soit en congé parental, comme l’adoption n’est pas achevée, ça ne peut pas se faire.

 

Sur l’impact au long terme par rapport à cette enfant qui est merveilleuse, je pense à l’altérité, de se construire en sachant que ton schéma n’est pas la norme.

 

Moi je le sais en tant que lesbienne ce que ça m’a fait, de me découvrir en tant qu’enfant, d’avoir ce sentiment d’être différente.

Là c’est quelque chose qu’elle n’aura pas choisi. 

Je ne sais pas quelle sera sa sexualité, quel genre elle choisira d’avoir.

 

Vous avez choisi un accompagnement dit positif pour votre fille.

 

Lau : Notre parcours associatif, d’éducation populaire, d’éducation nouvelle, on était très sensibilisées l’une et l’autre. 

Étant éduc de jeunes enfants j’ai été très formée à tout ça.

 

On fait attention à l’écouter, à l’accompagner sans la contraindre.

Le sommeil, "faut qu’elle apprenne à dormir toute seule dans son lit, à telle heure".

MH me dit : "Moi je lui fais confiance elle va y arriver".

Elle s’endort dans nos bras on lui fait des câlins pendant l’endormissement.

 

Être dans l’écoute de notre enfant de l’observation de ce qu’elle manifeste, ne pas être juste dans des réflexes adultistes ou d’éducation que tu as reçue, de reproduire ça.

Écouter l’enfant, s’écouter soi, s’il n’y a quelque chose qui ne va pas, accepte de changer sans être rigoriste.

 

La norme éducative qu’on nous transmet, on nous fait croire qu’il n’y a que ça qui existe.

 

MH : Discuter et se mettre d’accord sur des valeurs ce n’est pas la même chose que de les vivre au quotidien. 

Je trouve que la fatigue t’amène dans des états extrêmes. 

Je suis en train de travailler mes limites. 

Il y a ce que tu voudrais pour ton enfant ce que tu mets en place au quotidien, tu fais du mieux que tu peux mais là il y a des fois où c’est hyper compliqué.

 

Les choix qu’on a fait je n’en regrette aucun, par rapport à une éducation plus « traditionnelle ».

On a choisi la DME (diversification menée par l’enfant) et pendant un moment je doutais tout le temps je me disais : "Est-ce que ce n’est pas un choix militant est ce que je fais bien pour elle ?".

 

 T’es tout le temps rattrapée par la norme parce que les gens sont là et te disent : « Ah bon vous faites ça avec votre enfant ? mais c’est dangereux quand même ».

 

Ça fait encore une zone où il faut lutter.

 

Donc en gros je suis lesbienne, va falloir que j’explique plein de trucs et en plus je fais des choix éducatifs et tout te fait douter !

 

Lau : Ce qui te fait douter c’est ta fatigue. 

T’as beau avoir fait tes choix, être fière de tes choix, tu te dis : « Mais est ce que ce ne serait pas plus simple que j’arrête de lui laisser le choix ? », que ce serait moi qui décide pour tout et que je me laisse faire par la norme ?

 

Ça demande un plus grand investissement de l’adulte qu’une éducation beaucoup plus traditionnelle.

Le choix de la parentalité qu’on fait c’est sur le long terme, un bénéfice pour le parent et pour l’enfant et sur le court terme, pour l’enfant mais pas pour le parent.

Dans les 3, 4 premières années de vie c’est un investissement de temps et d’énergie psychique énorme qu’une éducation « tradi » ne t’impose pas.

 

Je trouve qu’il y a beaucoup de lâcher prise. Il n’y a rien de vital, tu relativises, ce qu’il y a de plus important c’est le lien.

 

MH : On lui laisse de l’espace, elle est n’est pas que notre accompagnement, elle fait ses choix. Je vois comment elle est sociable, il y a aussi ce qu’on transmet. 

De la même façon qu’elle s’exprime très fort dans la confrontation c’est parce qu’elle en a l’espace.

 

 

 

 

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