Témoignage de Jocelyne

1- Comment tu te sens en tant que parent non inclus dans les représentations de la société ?

Avant que tu m’en parles, je me suis posé la question, à la suite d’une formation qui forme des accompagnants en parentalité que j’ai effectuée et où beaucoup d’interrogations ont fusé dans mon esprit, notamment sur la représentation des parents noirs dans ces milieux, car j’étais la seule femme noire à cette formation. 
Il est vrai que ce n’est pas facile d’accéder à des reportages, des témoignages, des émissions de femmes noires, traitant de la maternité et de la parentalité au sens large dans les magazines pour grand public. 
Par rapport à ça, même si je sais que je fais partie des privilégiés de par mon statut social, je peux dire que je ne me reconnais pas tout le temps dans les magazines autour de la parentalité aujourd’hui. 
Je dois chercher, je dois me renseigner, car ce n’est pas « visible ». 
J’ai pu constater sur Instagram la création d’un magazine: « Miroirs libres » qui est un magazine traitant de la parentalité afro-caribéenne, mais tu vois, pour en venir à créer un magazine communautaire car on ne se sent pas visible ailleurs c’est qu’il y a quand même un problème de fond. Habituellement, les magazines afro-caribéens traitent le plus souvent de la beauté, de la mode etc...mais peu de la parentalité. 
En cherchant encore, j’ai trouvé un blog s’intitulant « Les Maters » qui propose un podcast « Mama E Yaya To » dédié à la maternité, l’éducation et la parentalité des femmes issues de la Diaspora africaine. Mais voilà tu vois, j’ai dû encore chercher pour trouver! 
J’ai même lu un post sur Facebook d’une blogueuse blanche, qui se sentait offensée de voir que quand elle écrit un bel article avec comme photo une maman noire, elle a beaucoup moins de flux et de partages que quand elle met une maman blanche...alors que l’article vise toutes les mamans... 

Dans mes souvenirs, les seules représentations de familles noires que j’ai pu voir à la TV, ce sont dans les séries ou films Afro-Américains comme : le Cosby show, Ma famille d’abord, Le Prince de Bel Air etc.. 
Je suis persuadée qu’il existe pleins de choses intéressantes mais pas visibles. 
Ah et sinon si, la représentation des parents africains est souvent exposée dans les sketchs de nos humoristes de façon très négative je trouve. 
C’est souvent des imitations caricaturales de la « Mama Africaine », ou du « Daron Africain » qui sont répressifs, peu communicants, peu bienveillants (avec l’accent forcé) et peu de place donnée à la parole de l’enfant... (mais est-ce une caricature ?...) 
Bref, la caricature de ce qu’on appelle « l’Éducation à l’Africaine », l’Éducation à la dure. 

Je pense que le manque de représentativité apparaît dans toutes les sphères de la société (et pas que dans le domaine de la parentalité), que beaucoup de choses se jouent dès l’enfance où dès le départ, peut-être de façon inconsciente, on te met dans des cases pour que tu sois invisible et silencieuse car on ne t’imagine pas ailleurs. 
Tu vois par exemple, mon petit-frère est militaire, gendarme. Et le débat actuel c’est : peut-on être noir et faire partie de la police, par rapport au racisme croissant observé dans les forces de l’ordre ? Et bien moi je plussoie, je suis plus que pour! C’est justement peut-être parce que nous ne sommes pas beaucoup représentés et que nous sommes invisibles dans ces corps de métier que certains se sentent pousser des ailes et commettent des actes répréhensibles à l’égard des populations différentes. Je ne sais pas, c’est une supposition. Le fait d’être visible dans des corps de métier où on nous attend pas, pourra faire bouger les choses, j’en suis sûr! 

Quand je devais avoir 8 ans, je me souviens avoir été marquée par le film Sister Act 2 et notamment par cette phrase prononcée par le personnage de Whoopi Goldberg : « Sans diplômes vous n’êtes rien ».  
Je ne sais pas pourquoi mais cette phrase m’a fait comme un électrochoc... je n’avais que 8 ans. 
Si bien, qu’en 2nde alors que j’étais une très bonne élève, mon prof principal a insisté pour que j’aille en « technologie » alors que j’avais demandé une filière « générale ».  
Non pas que « techno » ce ne soit pas bien, mais à quoi était due cette réflexion quand on sait que mes bonnes notes me permettaient justement d’avoir le choix ?  
Heureusement que je ne l’ai pas écouté... 
J’ai même un ami à qui ont avait demandé de faire un BEP VENTE, il a refusé et aujourd’hui il est sociologue. 
Bref, tout cela me fait penser au poids sur les épaules de nos mères : qu’on réussisse coûte que coûte, pour accéder à ce fameux « ascenseur social ». 
Être une femme dans la société ce n’est déjà pas facile, noire, laisse tomber, et sans diplôme, inconcevable pour beaucoup... Comme si on se trimballait plusieurs handicaps.
Encore aujourd’hui dans mon travail, je ne sais pas d’où me vient le fait de devoir faire plus que les autres pour prouver que je suis à ma place, que je suis légitime là où je suis et pour être reconnue par rapport à un statut social... 
Ça me fait penser à la fois où je cherchais l’entrée de la PMI avec ma fille aux bras et que j’ai entendu deux femmes dire à haute voix : «  Ces femmes là, viennent à la PMI pour toucher leurs aides sociales. Si elles ne se présentent pas, ils coupent les aides ». 
Alors que bon non, j’étais Directrice d’EHPAD à l’époque et je gagnais plutôt bien ma vie, donc recevoir des aides sociales, non... 
Voilà c’est ça, être vue, soit comme une maman qui fait des enfants que pour profiter du système, comme une  nounou ou une ATSEM et non comme une professeure quand tu dis que tu travailles dans une école. 
Si tu t’es déjà promenée dans les quartiers chics de Paris le mercredi à l’heure du goûter, tu as pu constater le grand nombre d’enfants blancs avec des nounous noires (ça me rappelle d’ailleurs le film: « La Couleur des Sentiments » de Tate Taylor). 
Je te parle de ça, car je suis persuadée que beaucoup ne se sentent pas représentés dans la société en tant que parents noirs mais vont se sentir inclus et représentés dans la société par rapport à leur statut social, aux études qu’ils ont pu faire et à la facilité dont ils accèdent aux informations qui leurs seront utiles, en se documentant, en lisant beaucoup et en faisant des recherches poussées etc... 

2 - Impact sur ta parentalité et ton accompagnement ?

Au tout début de ma grossesse, je n’avais pas forcément pensé que le manque de représentation de la femme noire dans la maternité et la parentalité au sein de la société, allait avoir un impact sur ma propre parentalité et mon accompagnement. 
Je suis quelqu’un qui aime chercher, et en recherchant justement des informations sur la parentalité et la grossesse, j’ai commencé à approfondir la question du « maternage proximal ». 
Un maternage qui correspond sur beaucoup de points à la façon dont on s’occupe des nouveaux-nés en Afrique et à la façon dont ma mère m’a accueillie et accompagnée durant mes premiers mois de vie: cododo, portage au dos, allaitement plus ou moins long, massage pour bébé... 
Quand on se sent capable et qu’on connait tous les bienfaits que cela procure pour le bébé et la maman, on ne peut qu’adhérer. 
Je pense vraiment qu’on a beaucoup de choses à apprendre sur les soins des nouveaux-nés en Afrique et même en Asie. 
Le livre pour enfants : « Chez Moi » de Valérie Guenec et illustré par Roseline D'Oreye, montre bien justement cette pluralité de relations parent/enfant dans le monde et met bien en lumière le maternage proximal à travers le monde. 
Comme je souhaitais pratiquer ce type de maternage, mes lectures se sont dirigées tout doucement vers des livres qui parlent d’Éducation Bienveillante et ça a résonné en moi, comme une évidence. 
Le livre qui m’a vraiment marqué c’est : « Élever son enfant autrement » de Catherine Dumonteil-Kremer. 
Je crois que c’est le mot « autrement » qui m’a attiré en premier lieu car j’aime me remettre souvent en question et faire autrement. 
Avec mon mari qui a été élevé comme moi (éducation traditionnelle avec transmission culturelle), on a été en accord de suite, nous ne souhaitions aucune violence éducative ordinaire au sein de notre famille. 
Étant en plus une personne hypersensible, qui est souvent dans l’analyse des comportements des autres, dans l’analyse des émotions et de mes propres émotions, il était pour moi important de faire preuve d’empathie à l’égard des enfants (surtout que je sais que le cerveau d’un enfant n’est pas mâture et que les comportements qui sont dits inappropriés sont souvent le fruit de besoins non satisfaits)... 
Et c’est peut-être là que mon besoin de faire « autrement » a été un peu plus complexe et difficile à comprendre pour les gens issus de ma communauté. 
Quand je parle des émotions, des neurosciences, de l’importance de l’écoute et de la communication, de psychologie de l’enfant, de l’enfant intérieur etc... j’ai souvent l’impression d’être vue comme une personne "qui renie sa culture et l’éducation qu’on m’a transmise", d’où ce fameux conflit de loyauté qui s’empare de moi souvent. 
On m’a d’ailleurs dit une fois que « l’Éducation Bienveillante » est un truc de Blancs... 
Alors que je sais que s’imprégner des neurosciences pour comprendre les enfants (et les adultes aussi d’ailleurs) n’est pas une affaire de blancs ou de noirs..
Je pense que pour beaucoup d’Africains, ce type de Parentalité manque de dureté et est assimilé à une Éducation laxiste où l’enfant est au dessus de l’adulte, ce qui est inconcevable et évidemment contraire à ce que beaucoup appellent « l’Éducation à l’Africaine ». 
« Éducation à l’Africaine » qui vient d’ailleurs à la rescousse de certains parents Africains qui se sentent dépassés par leurs enfants ici en France. 
J’ai souvent entendu dire (pas personnellement mais dans mon entourage ): « Si tu continues tes bêtises je t’envoie en Afrique » et effectivement certains sont envoyés au pays, au fin fond des villages même, afin de comprendre la « chance » qu’ils ont d’être ici en France car au pays, « on ne rigole pas avec l’autorité de l’adulte  ». 
L’expression Africaine: « Il faut tout un village pour éduquer un enfant », est exacte, dans nos familles, les enfants sont sous la protection de tous les adultes (comme si l’autorité parentale incombait à tous les adultes), là où en France on dira justement aux enfants de se méfier des adultes qu’on ne connait pas. 
Une fois qu’on s’intéresse à l’Éducation Positive et Bienveillante on se rend bien compte que cette expression qui porte en elle le poids des traditions et de la culture sera difficile à appliquer à 100%. 
En effet, j’ai voulu avec mon conjoint pratiquer un modèle parental, où la place de l’enfant est très importante de même que la relation parent/enfant et où l’éducation qu’on donne est bienveillante et correspond à la personnalité « atypique » de notre enfant. 
Je me dis que seuls mon mari et moi connaissons parfaitement notre enfant et il serait difficile pour moi d’être confrontée à une personne qui manquerait d’écoute à l’égard de mon enfant mais également à mon égard.

J’ai cherché à comprendre d’où pouvait venir la transmission de cette dureté à l’égard des enfants au sein de la communauté afro-caribéenne et en m’attardant sur des écrits sur les droits de l’enfant et de la violence comme processus éducatif africain, j’ai pu comprendre que c’est malheureusement l’histoire du Continent qui peut en être la cause. 
Petit aparté pour dire que beaucoup de parents sont prêts à d’énormes sacrifices pour que leurs enfants « réussissent » et deviennent un soutien pour toute la famille. 
Cela me fait penser à ma mère, aînée d’une fratrie de 7 enfants et qui est la seule parmi ses 6 frères et soeurs à avoir été élevé par une tante aisée à Lomé (capitale du Togo) tandis que les autres étaient avec mes grands-parents au village. 
Je pense que ma mère est « l’enfant sauveur ». 
D’ailleurs aujourd’hui elle est la seule à être ici en France (elle y est arrivée à l’âge de 17ans) et elle veille encore financièrement à ce que personne ne manque de rien au pays. 
Pour reprendre, dans les écrits que j’ai pu trouver, il y est expliqué que la violence et la répression comme processus éducatif en Afrique s’expliquent par la croyance qu’il faut préparer l’enfant à vivre dans un environnement hostile tant physiquement que psychologiquement. 
Quand je parlais plus haut de l’histoire du Continent et là maintenant de préparation à un environnement hostile, je ne peux m’empêcher de penser aux conséquences qu’à eu l’esclavage en Afrique et dans les îles, et à la brutalité de la violence coloniale. 
Si tu souhaites approfondir sur le sujet, je te conseille de te tourner vers l’association « Axes Pluriels » créé en 1993 dans le Xeme arrondissement de Paris. 
L’association est dirigée par Ferdinand EZEMBÉ - Docteur en psychologie. 
C’est un psychologue d’origine africaine, il est spécialisé sur le suivi des personnes Afro-descendantes, des couples mixtes, et tout public concerné par les problématiques interculturelles. 
Il a travaillé au Cameroun, au Mali, au Sénégal, et aux Etats-Unis.
Il a notamment publié :
Les Adolescents Noirs en France, Khartala, 2013.
L’enfant africain et ses univers, Karthala ; 2004. 
L’association, propose même une formation qui s’intitule : « Connaissance des familles africaines et maghrébines ». 
Exactement ce qui manque aux formations d’accompagnants en Parentalité en France à mon humble avis.
Enfin, je trouve que l’analyse de Dr Ezembe rejoint en quelque sorte ce que je suis entrain de lire actuellement : 
« Aie mes aïeux » d’Anne Ancelin Schützenberger. 
L’auteur y explique qu’il y a des traumas qui sont permanents, donc pour moi la répression dans l’éducation des enfants peut rappeler les traumas de l’histoire du continent Africain (et des caraïbes). 

3 - Ton choix d’accompagnement.

Comme expliqué plus haut, j’ai pratiqué le maternage proximal quand ma fille était bébé, et mon conjoint et moi pratiquons depuis sa naissance une éducation bienveillante et respectueuse de notre enfant. 
Ça a tellement résonné en moi, que je suis allée plus loin, j’ai décidé de quitter mon poste de Directrice d’EHPAD que j’occupais depuis 4 ans pour me former à: 
l’accompagnement de TOUS les parents vers une parentalité bienveillante,
l’accompagnement de TOUS les parents pour les aider à créer ou renforcer les liens d’attachements avec leur bébé,
- et l’accompagnement de TOUS les enfants vers un mieux-être et une confiance en soi/estime de soi à la maison et à l’école. 

Tu l’auras compris, c’est vraiment important pour moi que TOUS les types de Parentalité soient visibles et représentés dans les formations, dans les groupes de parents etc... et pour cela en tant qu’accompagnant parental, il ne faut pas hésiter à se former, à se documenter d’une façon beaucoup plus large, à inclure cette pluralité dans ses accompagnements, à écouter, à prendre en compte les différentes questions culturelles...
Au final, je voudrais que les paroles suivantes : « l’Éducation Bienveillante c’est un truc de blancs » ou « Avec notre passé colonial, qu’est-ce que ça renvoie un blanc qui vient dire à des noirs comment élever ses enfants? » n’existent plus, je voudrais que tout le monde trouve sa place, se sente légitime et à l’aise, que ce soit tant du côté des professionnels que du côté des parents. 

Pour finir, quand tu parles d’avenir pour ma fille, j’aimerais te dire que je souhaite que ma fille se sente libre, libre d’être elle-même et qu’elle ait assez confiance en elle pour affirmer ses choix, pour savoir dire non. 
C’est aussi ça, l’éducation bienveillante, c’est permettre à l’enfant de développer des compétences psycho-sociales qui lui seront utiles jusqu’à l’âge adulte...
Il y a un grand nombre d’adultes qui ont du mal à dire « non », car on leur a interdit de le faire enfant et qui consultent des coachs en développement personnel pour les aider à s’affirmer. Tout cela à mon sens résulte de l’éducation que nous avons reçue. 
Et en même temps, j’ai conscience que la société est beaucoup plus dure avec les garçons (qu’ils ne doivent pas montrer leur sentiments, leurs émotions, qu’ils sont obligés de refouler tout ceci pour ne pas paraître faibles), que certains parents ont peur quand leur fils sortent et sont confrontés à la police, donc les encouragent à avoir une attitude et une conduite exemplaire (dixit l’actualité).

Une société moins violente passe à mon sens par une éducation sans violence. 
N’est-ce pas Mandela qui disait que: « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde 😉 » ?

Commentaires

  1. Magnifique témoignage rempli de références à consulter même si l'on ne rencontre pas les mêmes difficultés.

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  2. Merci Macha d’avoir permis à ce que ma parole soit libérée. L’idée de créer se blog et de recueillir des témoignages comme les miens est plus qu’utile.

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  3. Très beau témoignage.
    Vraiment je me reconnais dans ce qui est ecrit. Les exemples sont véridiques.

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